L'information publique veut être libre

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L'INFORMATION PUBLIQUE VEUT ÊTRE LIBRE

James Boyle, 14 février 2005

Les Etats-Unis ont beaucoup à apprendre de l'Europe en matière de politique de l'information. Le traitement dispersé des questions relatives a la confidentialité des données, par exemple, mène à la formation aléatoire d'îles de protection de la vie privée dans une mer de vulnérabilité potentielle. Jusqu'à récemment encore, les enregistrements des cassettes vidéo en location étaient mieux protégés que les dossiers médicaux personnels. L'Europe, par contre, a essayé d'établir un cadre holistique: une approche qui s'est révélée beaucoup plus efficace. Mais il y a des domaines où l'Europe peut apprendre des Etats-Unis. Prenez l'information publique, de l'énorme et très important flux d'information émanant d' activités financées par le gouvernement, aux services cartographiques de l'Etat en passant par les données météorologiques et les textes produits par l'Etat, jusqu'aux études sur la circulation et l'information scientifique. Comment distribue-t-on ces informations? Les normes sont apparemment tres différentes aux Etats-Unis et en Europe.

D'un côté de l'Atlantique, le flux de données produit par l'Etat est considéré comme une source potentielle de revenus. Il est protégé par des droits d'auteur ou par des droits sur les bases de données. Les services qui produisent ces données essayent fréquemment de faire un profit grâce aux redevances, ou de récupérer au moins la totalité de leurs frais de fonctionnement. C'est une hérésie de suggérer que les contribuables paient déjà la production de ces données et qu'ils ne devraient pas le faire une deuxième fois. De l'autre côté de l'Atlantique, on pratique une forme inoffensive de socialisme de l'information. Selon la loi, tout texte produit par le gouvernement central est exempt de droits d'auteur et entre immédiatement dans le domaine public. Les compilations non originales de faits - effectuées par des sociétés publiques ou privées - n'engendrent pas des droits de propriété. Quant aux données produites par le gouvernement, selon la norme établie, elles sont à la disposition de tous au coût de leur reproduction. On devine facilement qui est qui. Evidemment, les Etats-Unis sont le royaume du profit et de la propriété, tandis qu'en Europe, l'Etat s'enorgueillit de fournir des informations en tant que service public? Et bien non, en fait c'est tout le contraire.

Voyons le cas des données météorologiques. Aux Etats-Unis, ces données sont disponibles à tous au coût de reproduction. Si les magnifiques sites web du gouvernement et les sources de données ne suffisent pas, pour le prix d'une boite de DVD vierges, on peut avoir l'histoire entière des données météorologiques de tout le continent américain. Les gouvernements européens, par contre, revendiquent des droits d'auteur sur les données météorologiques et souvent font payer cher l'accès à cette information. Quelle démarche est la meilleure? Si je devais recommander un article à ce sujet, je choisirais l'étude magistrale de Peter Weiss, intitulée Borders in Cyberspace («Frontieres dans le cyberespace»), publiée par les National Academies of Science (Academies nationales des sciences). Weiss suggère que le système américain engendre beaucoup plus de richesse sociale. C'est vrai, l'information est d'abord fournie gratuitement, mais une industrie privée des données météorologiques prospère est née, industrie qui utilise les données publiques comme matières premières en leur ajoutant de la valeur. L'industrie américaine de gestion des risques météorologiques, par exemple, est dix fois plus grande que l'européenne ; elle emploie davantage de personnes, produit des articles de valeur supérieure et génère plus de richesse sociale. Selon une autre étude, l'Europe investit 9.5 milliards d'euros dans les données météorologiques et récupère à peu près 68 milliards en valeur économique -dans les domaines les plus variés: décisions plus efficaces dans les secteurs de l'agriculture et de la construction, meilleure planification des vacances -, soit un coefficient multiplicateur de 7. Les Etats-Unis, en revanche, investissent le double - soit 19 milliards d'euros - mais ont un rapport de 750 milliards d'euros, soit un multiplicateur de 39. D'autres études signalent l'existence de modèles similaires dans des domaines aussi variés que les données géo-spatiales, les mouvements de circulation et l'agriculture. Un flux d'information «gratuit» stimule davantage l'activité économique.

Certains lecteurs ne seront peut-être guère enthousiasmés par cette façon de voir les choses : les entreprises privées profitent des «offres gratuites» du gouvernement - et tant pis pour la richesse sociale. Mais les avantages d'une politique d'ouverture en matière d'information publique vont plus loin. Tous les ans, la mousson tue des centaines de personnes et cause d'immenses dommages matériels en Asie du Sud-Est. Cette année, une seule vague de mousson a tué 660 personnes en Inde et a fait 4 millions et demi de sinistrés. Les chercheurs qui étudient et essayent de prévoir les moussons, ont essayé d'obtenir des registres météorologiques aux Etat-Unis et en Europe afin de générer un modèle basé sur les situations météorologiques mondiales. Les données nord-américaines ont été faciles à obtenir et bon marché au coût de leur reproduction. Les chercheurs n'ont pas eu les moyens de payer le prix demandé par les services météorologiques européens, ce qui a exclu l'analyse d'ensemble qu'ils cherchaient à faire. Weiss pose la question rhétorique suivante: «Quels sont les dommages économiques et sociaux causés à plus d'un milliard de personnes en raison de recherches entravées?» Après l'explosion de sympathie en faveur des victimes du tsunami dans la même région, cet exemple d'une certaine manière parait encore plus tragique. Est-ce que la même chose va se produire avec les données sismographiques, cartographiques et recueillies par satellite? Espérons que non.

L'attitude européenne est peut-être en train de changer. Les politiques en matière de concurrence contribuent déjà énormément a ce que les pays reconsidèrent leur attitude à l'égard des données publiques. La Directive européenne pour la réutilisation de l'information du secteur public va dans la bonne direction, de même que plusieurs initiatives nationales. Malheureusement, la plupart d'entre elles suivent un parcours décevant. Une proposition forte initialement est édulcorée et la question absolument cruciale de savoir si la diffusion des données doit se faire au coût différentiel de sa reproduction, est faussée ou évitée. C'est bien dommage. Je défends dans mes articles l'idée d'une politique de l'information basée sur les faits. Dans le plus récent, je soutiens que les lois européennes relatives aux bases de données ont échoué. Regrettablement, à ce jour, le traitement de l'information du secteur public en Europe est aussi un échec. Est-ce qu'il y a une explication unique pour toutes ces erreurs? Je traiterai de cette question dans un prochain article.